La Honte

Texte intégral dans Burqa de chair. (2011)



Lorsque dans une société donnée le rapport à l’image devient à ce point sacré, il est couru d’avance que certaines instances qui participent de cette glorification glamour se défendent d’être des putains. La putain devenue écrivaine n’est-elle pas la mieux placée pour dévoiler en quoi la culture de masse est un peu pute ? En quoi les marchands du temple sont devenus ses nouveaux curés ? Que ceux-ci veuillent, de manière aussi superficielle, renvoyer la messagère d’où elle vient traduit à la fois cette peur et cette fascination… Le procès de la culture narcissique ne pouvait avoir plus duelle égérie, plus brillante avocate portant en elle, dans sa chair même, la scène du crime.

Jérôme Langevin

Au mois de septembre 2007, Nelly Arcan répond à l’invitation de Guy A. Lepage et se rend sur le plateau de l’émission Tout le monde en parle, une des émissions de variétés les plus populaires du Québec. L’entrevue menée par l’animateur vedette et son acolyte, Dany Turcotte, se détourne très vite de l’œuvre d’Arcan pour se concentrer sur les aspects sulfureux du personnage, ses déclarations chocs, son apparence physique et ses incohérences.

Les questions, écrit-elle, « se suivaient, pareilles dans leur intention d’écrasement ». Enfin, les animateurs n’ont pas manqué de railler la robe de Nelly et son décolleté, jugé par l’assemblée (essentiellement composée d’hommes) très alléchant… L’entrevue marquera profondément l’auteure, qui la vivra comme une véritable humiliation.

Dans le texte « La Honte » (2007), qui relate son expérience traumatisante avec le monde médiatique, Nelly Arcan témoigne du manque de respect dont elle a souffert et de la transformation du discours en marchandise et en spectacle dans ce genre de talk-show : « L’image prenait toujours le pas sur les mots à la télévision » et les mots « devenaient spectacle de la vue ». La honte provient du sentiment de s’être fait humilier en public par des animateurs irrespectueux, mais aussi de n’avoir pas eu la répartie face à ces attaques faciles et basses. Comme elle l’écrira à propos du personnage féminin, sorte d’alter ego, « elle ne savait qu’écrire. En dehors de ses livres, elle ne valait rien. Elle n’était sûre de rien […]. À l’extérieur, elle livrait mal la marchandise, elle souffrait de désorientation. À l’extérieur, le monde n’avait jamais grand sens ». Profondément meurtrie par cette entrevue, Nelly Arcan, avec ce texte, se questionne justement sur les raisons qui lui ont valu un tel traitement : Qu’avait-on perçu d’elle ? Que s’était-il passé ? Qu’avait-elle fait pour mériter ce traitement ?

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