Fragments de personnages

Paradis, clef en main >   L’oncle Léon

Léon a toujours vécu dans l’ombre de sa sœur, la mère d’Antoinette. Bibliothécaire de métier, vivant dans l’exemple de la pérennité des archives, il était obsédé par sa propre disparition ; il s’est suicidé quand Antoinette avait quinze ans grâce aux services de l’entreprise Paradis, clef en main. C’est d’ailleurs Léon qui a révélé à Antoinette – oncle et nièce sont très semblables et, par conséquent, très proches – le secret de cette compagnie. C’est un personnage qui constitue une étrange figure paternelle, mais qui est néanmoins perçu comme mature, empathique et bienveillant par la narratrice.

« Aux hommes par exemple dont je me suis toujours foutue. Sauf de mon oncle Léon, qui formait, aussi, un bouclier humain devant ma mère mitraille, et à qui je ressemblais psychologiquement, faute de lui ressembler physiquement, comme à ma mère. Deux jumeaux de tristesse, Léon et moi, amants de la douleur morale. 1 »

« C’est mon oncle Léon qui m’a ouvert la porte de la compagnie via Internet. Sans lui, je n’aurais jamais pu y accéder. Avant de mourir, il m’a donné une adresse électronique et une clef qui crypte l’encodage et qui multiplie les numéros, rendant impossible la localisation de la provenance des messages en produisant de perpétuelles nouvelles séries de chiffres. Une adresse, une clef, des mises en garde : « Ne parle jamais de ça à personne. C’est ton affaire. Ça ne regarde personne, surtout pas ta mère. Promets-le-moi, de ne rien dire, jamais.  2 »

« Mon vrai père, ç’a été Léon. Un mauvais exemple de père, un père pesant mais père quand même. C’est lui qui est venu vers moi quand j’étais petite. C’est lui qui a fait les premiers pas de tortue. 3 »

« De son côté, Léon ne cherchait pas à s’entourer et, en sa présence, on sentait qu’il ne faisait que tolérer celle des autres ; il ne courait pas après la compagnie, et surtout pas celle de ma mère, qui d’ailleurs ne le voyait qu’en de rares occasions, entre autres lors de visites de courtoisie, à cause des liens de sang, ou lorsqu’il était à l’hôpital, quand il était traité pour tentative de suicide. 4 »

« Léon connaissait les mots à dire et les gestes à faire. Il a exprimé en mots d’adulte mon propre souhait, encore informe à ce moment-là, celui de mettre fin à mes jours. Il m’a ouvert la porte de Paradis, clef en main. Pas tout de suite mais plus tard, quand j’ai été adolescente. 5 »

« Léon était un obsédé de sa propre disparition. Souvent, il me disait, comme au premier jour où il m’a trouvée devant un mur de brique : « Un jour, ce sera fini.  6 »

« Pour ma mère, cette relation est la cause de ma révolte contre la vie. Selon elle, c’est Léon qui m’a rendue suicidaire. Je sais que ce n’est pas vrai. Ça n’a jamais été vrai. Entre Léon et moi, il n’a jamais été question de sexe. Jamais elle ne le croira : c’est une écraseuse. Elle sait tout du fait qu’elle croit savoir. Il y a plein de gens comme ça, on n’a pas idée. Le pire, c’est que souvent ils finissent par avoir raison, simplement par acharnement à croire qu’ils ont raison. 7 »

« Le sensationnel de sa mort a racheté son incapacité à vivre. C’est lui tout craché.

Puis, ces mots de lui :

« Quand je mourrai, mon corps disparaîtra au-delà de la poussière, au-delà de la cendre. Je ne veux rien laisser de moi, je ne veux qu’aucune parcelle n’en reste, ne serait-ce qu’un grain de sable, ne serait-ce qu’un atome. » 8 »

1 Nelly Arcan, Paradis, clef en main, Montréal, Coups de tête, 2009, p. 31.

2 Nelly Arcan, Paradis, clef en main, p. 42-43.

3 Nelly Arcan, Paradis, clef en main, p. 117.

4 Nelly Arcan, Paradis, clef en main, p. 126.

5 Nelly Arcan, Paradis, clef en main, p. 135.

6 Idem.

7 Nelly Arcan, Paradis, clef en main, p. 139-140.

8 Nelly Arcan, Paradis, clef en main, p. 153-154.



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